4.1 La comédie sentimentale
La comédie sentimentale se développe en réaction contre l'esprit décadent de la fin du XVIIe siècle. La comédie de la Restauration en particulier se trouve souvent accusée d'immoralité, d'indécence, de grossièreté et de grivoiserie par les critiques – et ce jusqu’au XIXe siècle inclus.
La comédie sentimentale est le reflet d'une nouvelle philosophie de la vie, d'un nouveau code social. L'attitude sentimentale se définit comme la capacité à partager des émotions – capacité qui se manifeste physiologiquement par des pleurs, des évanouissements, des rougissements. Une telle attitude s’avère complètement opposée au code social de la Restauration, période qui consacre le règne de la raison, qui imposait aux membres de la haute société de dissimuler et maîtriser leurs sentiments et leurs émotions, de garder le contrôle d'eux-mêmes quelle que soit la situation. La convention du masque et du déguisement, tant sur la scène sociale que sur la scène comique, en est la métaphore. Il s’agissait alors de viser l'objectivité, de considérer les choses avec l'œil du scientifique. Tout était rationalisé, jusqu’aux relations sociales : dans les comédies de l’époque, les amants ne confessent pas leurs sentiments mais essaient de dominer l'autre pour ne pas être dominés, comme en témoignent les nombreux duels verbaux et les fameuses « scènes de contrat ».
Le théâtre sentimental se veut également moral. Le héros ou l'héroïne sentimental(e) est vertueux et bienveillant. Il ou elle vise à faire le bien, tout en y prenant un réel plaisir. Il éprouve de la sympathie (au sens étymologique du terme sym-pathos) pour les autres, réagissant à leur détresse ou à leur joie. Tandis que la comédie satirique de la Restauration dénonce les vices humains et sociaux, la comédie sentimentale met en scène les vertus individuelles. Il s’agit bien là de deux méthodes différentes : la première a recours à la dénonciation, la seconde suggère un modèle de vertu ; la première s’avère pessimiste et cynique, la seconde optimiste. Alors que la comédie de la Restauration, dont le rake épouse la jeune héritière à la fin, se définit comme amorale, la comédie sentimentale en revanche cultive la justice poétique et donne une leçon morale. La vertu y est systématiquement récompensée ; le bien triomphe toujours du mal. Les conversions sont fréquentes dans la littérature sentimentale, de même que le langage de l'extase religieux.
L'émergence de la comédie sentimentale a pour effet de brouiller la frontière entre comédie et tragédie, de sorte que l’on parle de « comédie larmoyante ». Le paradoxe ne laisse pas de surprendre a priori. Le rire n'est-il pas l'effet attendu de la comédie ? Richard Steele (1672-1729), qui contribue activement à l’essor de la comédie sentimentale, justifie ce paradoxe dans sa préface à The Conscious Lovers (1722), pièce qui fait date dans l’histoire du genre. Il y donne une définition de la « weeping comedy » ou comédie larmoyante : « a joy too exquisite for laughter ». L'émotion dérive ainsi du bonheur et du succès.